LE GRAND BOULEVARD ET LE TRAMWAY MONGY (1907-1914)

 

 

      Après la politique de grands travaux menées dès 1906, afin de libérer l'accès à la place du Théâtre et à la Grand'Place (voir la rubrique "Quartier de l'Opéra"), le quartier pittoresque de la rue des Oyers, de la place des Guinguants ou de la rue du Bois Saint-Etienne a bel et bien disparu. 

 

En lieu et place de ce quartier, a été percé un boulevard aux allures parisiennes, comparable à la rue Faidherbe ou à la rue Nationale. L'artère a pris la dénomination de boulevard Carnot à partir de la place du Théâtre et jusqu'aux remparts délimitant la ville au nord-est.

 

La percée du boulevard Carnot était en fait une réponse partielle à une problématique totalement ambitieuse pour l’époque : relier Lille à Roubaix et Tourcoing, au moyen d'une artère large de près de 50 mètres, et alimentée par deux voies de tramways rapides. En quelques années, le projet fut mené à bien, grâce aux travaux menés par Alfred Mongy, à qui l'on doit cette métonymie célèbre et employée au quotidien par des milliers de voyageurs: "Je vais prendre le Mongy". En effet, si les rames utilisées aujourd'hui ont remplacé les anciennes, il n'empêche que le tracé du tramway actuel est quasiment le même que celui qui avait été décidé à l'époque.

 

Retour sur ce bel exemple d'ouverture en matière de transports, désengorgeant de nombreux axes routiers encore aujourd'hui.

 

 

 

I. Côté lillois: le boulevard Carnot

 

Le Boulevard Carnot, nous l'avons vu, démarre désormais à l'angle de la place du Théâtre. Empruntant le tracé de l'ancienne rue des Fleurs, il longe l'ancien lycée Faidherbe, avant de prendre la direction de la Madeleine, au niveau du quartier du Romarin. Pour se faire, il a fallu percer les remparts pour dégager l'accès.

 

 

Sortie du boulevard Carnot en 1910 - Percée des remparts - Direction la Madeleine

 

Dans un premier temps, le boulevard Carnot ne dispose pas de tramways: le percement des remparts est trop étroit, si bien que le terminus des tramways venant de Roubaix et Tourcoing s'effectue en léger retrait de Lille intra-muros.

 

Ancien terminus du tramway "Mongy" (au fond) - Direction La Madeleine

 

Sitôt descendus, les voyageurs doivent poursuivre leur chemin à pied pour rejoindre la capitale des Flandres. Cette situation sera vite régularisée au début des années 1910, où une passerelle plus large permettra de faire circuler les tramways jusqu'aux abords de la place du Théâtre.

 

 

Nouveau Boulevard - Direction Lille - Accès aux tramways désormais possible

 

Après 1910, les voyageurs peuvent désormais s'arrêter au niveau de la place du Théâtre, qui constitue désormais le terminus définitif de la ligne Lille-Roubaix-Tourcoing. 

 

Nouveau terminus du tramway « Mongy » - Boulevard Carnot à Lille

 

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II. Le Nouveau Boulevard vers la Madeleine et Marcq-en-Barœul

 

Le tracé du Nouveau Boulevard, sitôt sorti de la vieille ville, était chose beaucoup plus aisée. En effet, le territoire séparant Lille de Roubaix et Tourcoing n'était constitué que de petits bourgs paisibles. Les champs ou les friches s'étiraient à perte de vue. Dans ce contexte favorable, il n'était pas difficile de dessiner un tracé quasi rectiligne.

 

Nouveau Boulevard - Direction Marcq-en-Barœul - Le Romarin

 

Nouveau Boulevard - Direction Marcq-en-Barœul - Le Romarin

 

 Sitôt tracé, le Nouveau Boulevard, avec son moyen de transport ultramoderne pour l'époque, ne tardera pas à attirer les riches industriels et autres aristocrates de la Métropole Lilloise, qui font construire des villas somptueuses tant que la place le permet. Au même moment, de très belles villas fleurissent également aux abords de Roubaix et Tourcoing.

 

Nouveau Boulevard - Direction Lille - Botanique

 

 

Donjons, coupoles monumentales, façades rythmées d'arcades... Le Nouveau Boulevard prend des allures de contes de fées. Et pourtant, derrière les façades, il y a la campagne...

 

 

Nouveau Boulevard - Direction Marcq-en-Barœul - Saint-Maur

 

 Nouveau Boulevard - Direction Lille - Saint-Maur

 

Au bout de quelques kilomètres, les villas se font plus rares, car trop excentrées à la fois de Lille, de Roubaix et de Tourcoing. Certaines parcelles de terres débordent encore jusque sur les abords de la ligne de tramway. Les hôtels particuliers sont remplacés par de véritables châteaux, en léger retrait du boulevard, avec un immense terrain privé. Certaines constructions, déjà présentes au moment du tracé, perdent leur isolement.

 

  Nouveau Boulevard - Direction Roubaix-Tourcoing - Croisé Laroche

 

La bifurcation des lignes Roubaix et Tourcoing s'effectuaient déjà, à l'époque, au Croisé Laroche. La grosse différence est que les hauteurs du Barœul étaient, jadis, quasiment désertes! Il aura fallu attendre les années 20-30, pour que l'urbanisation atteigne ce quartier, dans une architecture art déco.

 

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III. Un homme à l'origine de ces travaux: Alfred Mongy (1840-1914)

 

Alfred Mongy, à qui l'on doit cette ambitieuse réalisation, est né en 1840 dans le Vieux-Lille. Très vite, il rejoint les Services Municipaux de la ville, dont il sera le chef au bout de vingt ans de carrière. Tâche non pour le moins délicate, puisqu'il doit prendre en charge les plans d'urbanismes consécutifs à l'agrandissement de Lille de 1858.

 

Au début du XXe Siècle, Alfred Mongy, ayant quitté les services publics, lance le pari fou de réunir les trois plus grandes communes de l'arrondissement de Lille, au moyen d'un boulevard majestueux. En 1909, l'inauguration des voies réservées à des tramways spécifiques, que l'on nommera "Mongy", confirme la bonne tenue de ce projet qui s'est concrétisé en un temps record.

 

A la veille de la première guerre mondiale, Alfred Mongy décède, laissant derrière lui l'une des réalisations les plus audacieuses de l'histoire des transports publics.

 

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Un projet exemplaire

 

Au-delà de l'aspect fonctionnel du Nouveau Boulevard, le projet global a séduit par son esthétique et sa composition: l'actuelle avenue de la République (que se partagent les territoires communaux de Lille, La Madeleine, Marcq-en-Barœul) ainsi que les bifurcations vers Tourcoing (avenue de la Marne) et vers Roubaix (avenue de Flandre) sont autant d'adresses prestigieuses qui aujourd'hui encore, portent les stigmates d'une urbanisation sélectionnée au nom de la modernité.

 

P.M